Par Emmanuel Trumer - Publié le
Si dans l’imaginaire collectif le rôle de l’entraineur peut être galvaudé, minimisé, il n’en est pas moins un rouage primordial et concerne aussi bien les disciplines individuelles que collectives. Avec des spécificités claires et diverses pour chaque sport, mais avec l’avantage d’avoir un reflet quasi immédiat dans le domaine du foot. Une équipe échappe rarement aux idées de son entraîneur, que ce soit au niveau de son état d’esprit, de sa préparation tactique, que de sa réalisation lors de la mise en application en situation de match. Avec des méthodes différentes, des bagages personnels aussi divers que les origines et les modèles des tacticiens, l’entraineur représente une première vitrine avant le lever de rideau sur ses troupes.
« Pep m’a toujours dit : « le putain de crack c’est Cruyff » moi je dis : et Michels ? » « Si l’on va par-là, il y a toujours quelqu’un qui a inventé en premier. Mais si tu mets un coup de pied dans la fourmilière, tout évolue toujours ». Cette réflexion entre Pep Guardiola et l’auteur Marti Perarnau dresse d’emblée le tableau d’une quête de vérité et surtout d’une soif de comprendre. Élève de Johan Cruyff lors de ses années de joueur, Guardiola ne cesse aujourd’hui de tenter de se réinventer pour perdurer au panthéon d’un domaine qu’il a contribué à glorifier à son tour. Certainement entraineur de la plus belle équipe de tous les temps, vainqueur de 14 trophées en quatre saisons sur ses terres de Catalogne, et de six lors de la seule saison 2009, Pep Guardiola s’est construit une légende qui est désormais la source d’inspiration d’une nouvelle génération d’entraineurs. Une sorte d’aboutissement parfait qui trouve pourtant ses racines à la création même du football lorsque dès 1901 dans le livre Association Football le capitaine de Sheefield United, Ernest Needham écrivait : « quelquefois, et j’aimerais mettre l’accent là-dessus, la combinaison entre les défenseurs et les milieux de terrain est une bonne décision. Lorsque le défenseur peut donner le ballon à son milieu dans une bonne position afin d’avancer sur le terrain, il doit le faire sans douter au lieu d’envoyer le ballon plus loin. Ce style de jeu est beaucoup plus efficace que le style habituel. Beaucoup trop de défenseurs lancent de longs ballons vers l’avant en pensant que c’est un exploit, oubliant que, neuf fois sur dix, le ballon passera au-dessus de la tête des attaquants et retombera directement dans les pieds de l’adversaire. » Un cheminement intellectuel si génial qu’il a perduré au cours des décennies suivantes pour trouver un écho auprès d’entraineurs aussi divers que Marcelo Bielsa ou Arrigo Sacchi et pour définir toute une nouvelle génération d’entraineurs qui ne cesse d’évoluer, encore représentée dernièrement par le très jeune Julian Nagelsmann en Allemagne.
Marcelo Bielsa sous les couleurs de l’OM.
Un rôle précis
Si les champs d’exploitation et d’exploration du domaine tactique sont assez vastes, les missions de l’entraineur sont quant à elles immuables et reposent sur des choix précis. A la tête d’un effectif professionnel, son premier objectif doit être de trouver les bonnes solutions pour faire évoluer son équipe de la manière la plus proche de celle qu’il a imaginée, ponctuellement ou sur une période plus longue. Concrètement cela passe par des entrainements qu’il convient à chacun d’animer de la manière la plus adéquate à ses idées, et de trouver la bonne composition d’équipe en fin de semaine pour pouvoir battre son adversaire. Les méthodes de chaque entraîneur sont innombrables et si certains préfèrent très volontiers déléguer certaines tâches, d’autres tiennent à avoir la main sur chaque domaine et sur chaque petit détail. : « Le plaisir de l’entraineur est celui d’un petit artisan, pas d’un gros industriel. Nous sommes des artisans de l’enseignement et de la formation du sportif. Notre premier plaisir c’est de constater une progression, la victoire ne vient qu’après » s’exprime Guardiola lorsqu’il lui est demandé sa définition de l’entraineur et si les mots de Marcelo Bielsa peuvent alors revenir en échos il faut y voir ici une école bien particulière et qui ne représente pas la grande majorité du paysage footballistique. Une sorte d’élite peu accessible, souvent imitée mais très rarement égalée en termes de contenu produit.
Pour pouvoir mener sa mission à bien, l’un des principaux enjeux de l’entraineur réside dans la définition des profils et par conséquent des postes des joueurs. Des données souvent figées, imposées, avec lesquelles des entraineurs comme Bielsa, Guardiola, ou Nagelsmann désormais aiment pourtant jouer. « Il faut se méfier de la dénomination des postes, Lahm latéral ? pourquoi ? Pourquoi ne pas le considérer plutôt comme un milieu ? Et Alaba ? Et Rafinha ? Robben est attaquant ? N’est-il pas aussi milieu de terrain ? Peut-être qu’il est milieu ! » Pep Guardiola déconstruit, cherche, pour assembler chaque pièce de l’œuvre. Pour lui, un match ressemble à un Trencadis de l’artiste Gaudi, une mosaïque composée de millier d’éclats de céramiques, « aucun éclat ne peut tomber sans que l’ensemble perde sa beauté et son harmonie. » Aujourd’hui confronté à un entraineur comme Jurgen Klopp entre autres, Pep Guardiola continue de miser sur une vision plus philosophique et à mon humble avis plus poussée que celle de ses homologues, qu’ils se nomment Klopp, Zidane, ou Simeone. « Nous avons déjà mentionné l’importance du concept de prendre l’initiative pour être un attaquant à succès. Quand nous créons le mouvement au lieu de simplement réagir, nous devenons maitres de l’échiquier. C’est le rival qui se retrouve dans l’obligation de réagir, ce qui limite ses options et surtout le rend prévisible. » Et le lien entre Guardiola et Kasparov est alors tout établi.
Un style si rare à obtenir
Une vision presque poétique du métier d’entraineur pourrait découler des mots de Guardiola et si l’entraineur catalan a réussi l’exploit de créer son propre style de jeu grâce à sa réorganisation du milieu de terrain notamment, qu’il a calqué à toutes les zones du terrain, bon nombre des techniciens pourraient davantage se retrouver dans une autre définition du métier par Juanma Lillo l’un des modèles de Guardiola sur le jeu de position : « Il n’y a ni bons ni mauvais entraineurs. Il y a les entraîneurs courageux et ceux qui ne le sont pas. » Plus radical peut-être mais un point néanmoins crucial puisque la vision tactique de l’entraîneur va définir la capacité de son équipe à s’adapter ou non à différentes situations au cours d’un match. Il est déjà assez compliqué d’obtenir des résultats avec une manière de jouer, que peu de techniciens peuvent se targuer de maitriser et surtout de pouvoir préparer différents schémas et ainsi pouvoir répondre à leurs adversaires à n’importe quel moment de la rencontre. Par des séances qui se répètent, préparées en amont et en fonction du prochain adversaire, Guardiola est toujours parvenu à imposer son style de jeu et a même réussi à se réinventer pour compléter encore sa palette lors de son expérience au Bayern Munich et désormais à Manchester City. Exit le Tiki Taka et ce redoublement de passes courtes visant à faire courir le plus possible son adversaire en proposant une solution immédiatement après avoir donné le ballon à son partenaire avec le moins de touche possible. Un épiphénomène si génial qu’il est encore dans toutes les mémoires à Barcelone, et dont on peut désormais trouver quelques bribes aux quatre coins du monde. Le Guardiola de Barcelone a laissé place à un technicien plus froid, davantage tournée vers les profils d’attaquants, et avec plus de verticalité certainement.
Pep Guardiola est certainement l’entraineur le plus réputé au monde.
Lorsqu’il lui est posé la question de la tactique, Pep Guardiola répond : « La tactique, c’est dire exactement à chaque joueur ce qu’il doit faire à chaque moment et dans chaque position qu’il occupera pendant la rencontre. Faut-il adapter la tactique à l’adversaire ? Bien sûr que oui. On ne joue pas dans le vide. Je prends toujours en considération les qualités de notre adversaire et les joueurs doivent les avoir en tête, tout savoir de ses forces et ses faiblesses. Avant chaque match, nous avons radiographié l’adversaire pour nous adapter à ses caractéristiques. Mais si l’adversaire change en cours de match ? Nous devons avoir anticipé les variantes possibles et trouvé les ripostes adaptées. Quand je dis « nous » je parle à la fois de l’équipe et de chaque joueur qui doit être prêt à s’adapter dès l’instant où nous décidons de modifier la stratégie de départ. Nous devons avoir préparé toutes les possibilités pendant les entrainements précédents, pour ne pas être démuni si l’équipe se présente avec cinq défenseurs au lieu de quatre, par exemple. La tactique ce n’est pas aligner X défenseurs, X milieux et X attaquants. La tactique c’est savoir quoi faire à chaque instant. » Un condensé de pragmatisme et de quête de déséquilibre de l’adversaire qui en fait une menace dans n’importe quel contexte tout en gardant à l’esprit l’importance de ses propres idées : « Je te donne un exemple : Xabi (Alonso) doit tenir le même rôle qu’aujourd’hui, à savoir jouer 60 minutes le temps d’organiser l’équipe et d’épuiser l’adversaire. Ensuite, il revient se reposer sur le banc. Je dois gérer de la même façon le tandem Lahm Rafinha. Ce dernier nous apporte sa vélocité et sa malice et dès qu’il entre en jeu Philipp (Lahm) passe au milieu. A eux deux ils font beaucoup de dégâts chez l’adversaire. Mais pour que ça fonctionne, il faut que Lahm ait fait courir nos adversaires dès la première minute du match ensuite Rafinha prend le relais et les achève grâce à son intensité. » Chaque choix est longuement réfléchi et intervient pour une raison bien particulière.
Les schémas et la recherche d’espace
Si les notions tactiques peuvent être abordées de manière aussi précise, les schémas quant à eux requièrent des questionnements bien plus terriens avec une recherche première de zones de jeu où son équipe pourra mettre en danger son adversaire. Cela passe d’abord bien évidemment par le fait d’avoir la possession du ballon (63% de moyenne pour Guardiola avec Barcelone) mais également par une optimisation des espaces pour des mouvements intelligents. Les latéraux doivent étirer le terrain au maximum, et les ailiers doivent permettre des situations de surnombre dans les trente derniers mètres adverses par leurs courses intérieures notamment. Si un entraineur comme Carlo Ancelotti est l’un des maitres dans ce domaine, avec des schémas en 4-3-2-1 ou 4-4-2 dévastateurs pour ses adversaires, la vision de Guardiola ne s’est jamais éloignée de ses maitres et d’un 4-3-3 quasiment inamovible. Des animations différentes, des batailles tactiques qui perdurent encore, et c’est à l’entraîneur qu’il faut alors remonter pour trouver les raisons des succès. L’entraineur argentin Diego Simeone a prouvé ces dernières années qu’avec sa science défensive son équipe pouvait également mettre en danger n’importe quel adversaire, et comme il le résume son travail consiste ensuite à trouver les qualités d’un joueur et d’en cacher les défauts. Une alchimie qui a donné un monstre dans le domaine défensif avec une défense des Colchoneros qui a longtemps été réputée comme la plus intraitable au monde et qui demeure encore aujourd’hui sublime face à un adversaire aussi armé que le champion d’Europe en titre Liverpool.
L’opposition entre l’Inter Milan de Mourinho et le FC Barcelone de Guardiola (2010) est entrée dans la légende.
Pour tenter de résumer l’impact si important des schémas sur le déroulement d’une rencontre, il faut avoir en tête que deux systèmes identiques offrent les mêmes zones d’espace sur un terrain. C’est lorsque ces schémas vont trouver une animation différente que des espaces peuvent s’ouvrir et alors offrir des opportunités de créer des situations. Marcelo Bielsa est l’un des maitres en la matière et sa capacité à évoluer si bien avec une défense à cinq qu’une défense à 4 à plat peut décontenancer l’opposition. L’Argentin a tendance à s’adapter à ses adversaires, comme Pep Guardiola même si ce dernier agira davantage sur le profil des joueurs alignés que sur son schéma tactique en 4-3-3. Bielsa aligne souvent une défense à cinq lorsqu’il doit faire face à deux attaquants de pointes en face, permettant ainsi une supériorité numérique dans cette zone du terrain. Pour déséquilibrer l’adversaire c’est le même raisonnement, avec une volonté de profiter des faiblesses adverses en fonction du schéma proposé. Bielsa accentue les consignes pour écarter le jeu et passer par les côtés lorsque l’équipe en face est alignée dans une défense à 5, évitant ainsi la densité imposée par la défense à trois dans l’axe, et au contraire insiste pour faire évoluer ses 3 joueurs offensifs dans une sorte de diamant axial lorsque l’adversaire se présente avec une défense à quatre éléments à plat. Des préceptes aujourd’hui repris par des techniciens comme Julian Nagelsmann ou Peter Bosz en Allemagne et qui représentent cette capacité toute particulière et si rare à pouvoir agir sur une rencontre et son déroulement. Guardiola de conclure sur sa définition de ce qui devrait être l’obsession de plus de techniciens : « Si tu veux vraiment savoir ce que je désire dans ma vie et dans mon travail, c’est qu’on m’aime. Ce n’est pas facile dans ce métier car tu laisses des joueurs de côté lorsque tu choisis ton équipe, ils s’emportent en imaginant que tu ne tiens pas à eux. Alors que mon choix est basé sur la tactique ou sur l’une de mes lubies ; mais eux voient les choses autrement. Ça me chagrine, car je n’ai jamais pensé que l’on gagnait grâce à moi. Ce que je recherche en vérité c’est donner de l’affection et en recevoir en retour. » Le football simple.
Emmanuel Trumer
