Demi-finaliste de la Ligue des Champions avec son club de Villarreal, Unai Emery vient de réussir l’exploit d’éliminer la Juventus puis le Bayern Munich. Avant d’affronter Liverpool, à deux manches d’une finale dans la plus grande compétition du football de clubs, retour sur le profil d’un entraîneur qui ne cesse de surprendre pour certains, mais qui en réalité est dans la simple continuité de sa montée en puissance dans un domaine qu’il maitrise sur le bout des doigts. Emery est un homme imprégné par le foot, ancien joueur plutôt anonyme et aujourd’hui entraîneur de renom, il est train d’imposer une méthode de travail qui devrait pourtant être à la base du métier d’entraineur. Avec Villarreal pour le moment, ou avec un club beaucoup plus armé plus tard, Emery continuera de transmettre une vision qui en plus d’être plutôt séduisante dans son reflet, pourra permettre d’obtenir des résultats. Un mélange de travail, d’abnégation, et de génie aussi.
Après une expérience houleuse au Paris Saint-Germain, il est fort à parier que très peu d’observateurs auraient misé sur une prochaine demi-finale de Ligue des Champions pour l’entraineur basque, qui plus est avec un club comme Villarreal qui même dans ses rêves les plus fous n’avait certainement pas envisagé de se retrouver à ce stade de la compétition. Ni dans le recrutement, ni dans la communication, ni mêmes dans les résultats en championnat (mais nous y reviendrons) la saison de Villarreal pouvait laisser penser une issue si heureuse. Pourtant Unai Emery est toujours le même homme, toujours le même entraîneur, et c’est déjà bien avant le PSG que l’Espagnol s’est forgé une conviction et une méthode d’approche dans le football. Avec Séville d’abord, et trois Coupes d’Europe gagnées consécutivement, le début d’une histoire d’amour entre l’Europe et Emery. Même si la matière individuelle dont disposait Emery à Séville était en adéquation avec l’objectif de gagner des trophées, parvenir à rafler trois titres consécutivement est un accomplissement, et c’est d’ailleurs grâce à cette compétition que le technicien Espagnol a pu rallier les demi-finales de la Ligue des Champions cette année. La Liga ne permettant pas à Villarreal d’atteindre la plus prestigieuse des compétitions de clubs, Emery a alors gagné une quatrième Ligue Europa, cette fois avec le Sous-Marin jaune, et forcé l’invitation à la plus grande fête.
En réalité, Unai Emery avait déjà eu l’occasion auparavant de remporter une quatrième Coupe d’Europe. C’était avec Arsenal, après son passage au Paris Saint-Germain, et l’échec londonien, comme l’échec parisien, aura longtemps été mis sur le dos d’un entraineur qui devait déjà s’occuper d’un effectif professionnel et ne pouvait pas donner de leçons footballistiques à ses dirigeants. Trop jeune certainement pour les décideurs, pas assez expérimenté, a peine le pied posé dans un club d’une envergure importante et Emery est déjà dénigré. Ce fut le cas partout à l’étranger, absolument partout. A Paris, à Londres, et à Moscou dans une moindre mesure mais dans un contexte qui peut se rapprocher des deux autres expériences étrangères de l’entraineur Emery. Avant de revenir sur ses différentes expériences, tachons d’abord de découvrir ce que cache réellement la méthode Emery, celle appliquée à ses joueurs pour lui permettre d’obtenir les résultats espérés. Comme entraineur, Emery est dans une approche plutôt audacieuse : il préfère quand son équipe peut maitriser le match par la possession et la construction du jeu et il l’applique avec les bons concepts. Un bloc équipe assez haut, une volonté de presser à la perte du ballon pour le récupérer rapidement et enclencher une nouvelle séquence de possession. Des principes que l’on retrouve chez Pep Guardiola, Jurgen Klopp, ou encore Zinédine Zidane. L’approche globale est audacieuse, mais dans les détails Emery est un redoutable tacticien capable d’apporter des petites modifications qui rendent son équipe très complète.
En retraçant le parcours du Basque, et en revenant sur différentes périodes de sa carrière d’entraineur, m’est apparu une évidence avec une capacité pour Emery à changer son approche, son idée, son travail, dans une recherche permanente de résultat et de compétitivité. Concrètement, Unai Emery est un tacticien capable d’apprendre à une équipe à évoluer avec ballon et sans ballon. A créer des mouvements offensifs, et à être capable de surcroit de couper les velléités adverses. Lorsqu’une équipe est capable de maitriser ces différents aspects, il s’agit alors d’une équipe redoutable à affronter et la Juventus, le Bayern Munich, et des recrutements qui se chiffrent à des centaines de millions d’euros ne pourront pas dire le contraire. Face à Julian Nagelsmann, acheté 25 millions, c’est un chef d’œuvre signé Unai Emery qui a eclaté aux yeux de l’Europe et après une victoire 1-0 à l’aller qui aurait pu être plus lourde, Emery et Villarreal sont allés chercher le but de la victoire au bout du temps règlementaire et grâce au changement de l’entraineur avec Chukwueze. L’audace, toujours, de vouloir s’imposer avant les prolongations, mais une audace géniale après un long combat qui n’a pas ressemblé au foot rêvé d’Unai. Celui qui le fait intérieurement vibrer. Mais Emery n’en a que faire puisque la quête de résultat demande des concessions. C’est ici que s’exprime le génie de l’entraineur basque, capable d’analyser et de mettre en pratique différentes situations, dans différents contextes. Julian Nagelsmann, acheté 25 millions d’euros cet été par son club du Bayern Munich, n’a pu que constater les dégâts d’un entraîneur qui vit avec l’intime conviction que la recherche sur le football et son application sont les leviers du résultat. Un professeur, un sage, Emery est avisé en tout cas dans ses choix et la raison est toute simple : il connait parfaitement les profils individuels des joueurs, comment les assembler collectivement pour trouver une cohérence dans le contenu, et est capable d’agir sur une rencontre lorsqu’il sent un besoin particulier. Emery c’est un cerveau sur le banc, un guide pour un effectif comme Villarreal, et très certainement le niveau pour espérer un club comme le Real Madrid un jour.
Un entraineur audacieux et complet
Pour assembler son équipe et mettre en pratique sa vision du foot, Emery mise souvent sur les mêmes schémas tactiques. Le 4-4-2 actuel avec Villarreal est un schéma qui change peu, même si le Basque est capable de basculer sur un 4-3-3 plus dense au milieu de terrain. Même lorsqu’il évolue en 4-4-2 Emery est capable de proposer deux versions différentes en fonction des profils choisis pour animer son attaque. Danjuma et Moreno peuvent être alignés ensemble, dans une idée d’attaque à deux pointes, mais Lo Celso peut également être l’un de ces deux attaquants dans une idée de numéro 10 et de liaison technique entre les deux milieux et la pointe. Tout est pensé, réfléchi, et travaillé avec des circuits de passes parfaitement connus des joueurs. Chaque joueur connait sa zone d’activité individuelle, ce qu’il doit faire avec et sans ballon, et même des données sur son adversaire direct. La préparation est assez royale, et il revient à Emery de diriger tout ça lors de matches qu’il vit pleinement. Très remuant sur son banc de touche, Emery imprègne en plus une belle intensité pour un effectif qui a envie de suivre son coach. Jamais, d’un point de vue personnel, je n’ai vu Emery jouer avec une défense à 5 et le technicien semble donc se rapprocher en ce sens encore plus du panel d’entraineurs phares composé de Guardiola, Klopp, ou Zidane. Pas dans le palmarès évidemment, mais dans son approche et sa vision de l’essence du football en tout cas.
Reste alors les interrogations de ses passages au PSG, à Arsenal, ou même au Spartak puisque ses détracteurs lui reprochent tous ses mandats étrangers. Des passages ratés pour Emery, il est strictement impossible de dire le contraire. Mais des passages ratés dans des clubs qui n’avaient pas la capacité de laisser Unai Emery développer ses idées et son approche. Il ne sert à rien de revenir sur les échecs qui ont suivi pour ces deux clubs, ni sur le fait que c’est Emery qui a éliminé Arsenal avec Villarreal pour gagner la Ligue Europa et donc atteindre la demi-finale de Ligue des Champions cette saison, cela ne servirait à rien car cela confère d’un passé révolu et le simple fait d’atteindre ce stade de la compétition est aujourd’hui une preuve du talent de l’entraineur basque. Reviennent également des interrogations quant à sa capacité à obtenir des résultats en championnat avec en exergue deux faits : la perte du titre de Champion de France avec le PSG, et la 7e place en Liga avec Villarreal. Après être tombé sur le Monaco de Kylian Mbappé et Leonardo Jardim (Mbappé qui sera recruté par Emery lors de sa deuxième saison à Paris), demi-finaliste de la Ligue des Champions cette année-là, Emery se retrouve à son tour à ce stade de la compétition avec Villarreal et un club qui n’est absolument pas préparer à évoluer à ce niveau et en Liga en même temps. L’accumulation d’une Coupe d’Europe fait évidemment perdre des points à un effectif qui n’est pas armé pour, et fait surtout perdre de l’énergie mentale avec un enjeu incommensurable pour la Ligue des Champions et ses revenus.
A des critiques sur la maitrise du Français dès son arrivée à Paris, à celles qui lui prêtent un attrait pour les femmes plus que pour le football, et globalement à tous ceux qui n’ont pas vu avec Emery un professionnel du football, tout cela doit aujourd’hui faire sourire un technicien qui a voué sa vie au football et qui en récolte simplement les fruits. A Moscou il n’aurait pas réussi à cause d’une traductrice et journaliste qui lui imposait de longues séances de langue. A Londres il aurait été victime d’un chagrin amoureux. Mais en réalité Emery doit simplement être en train de continuer son bout de chemin, avec un football qu’il connait sur le bout des doigts, et d’autres pays et langues qu’il peut espérer apprendre. Emery est voué à un avenir dans un grand club, dénigré par une partie si insignifiante, il prouve avec ses résultats que c’est bel et bien dans le foot qu’il est le plus à l’aise. Tant mieux à vrai dire, car ces entraineurs sont rares.
Emmanuel Trumer