La présentation de Joao Felix dans le célèbre musée du Prado à Madrid ne pouvait mieux refléter la valeur d’un joueur acheté 126 millions d’euros par l’Atletico à l’âge de 19 ans, et qui malgré des difficultés actuelles représente l’avenir du football mondial. Formé à Lisbonne dans le club de Benfica, Joao Félix incarne la formation parfaite à l’état pur. Doté de qualités techniques dont le meneur de jeu est à l’heure actuelle très certainement le seul à posséder, l’international portugais est également un deuxième attaquant capable de marquer et de faire marquer. Un profil complet, dévastateur, et parfaitement à l’opposé de la vision footballistique de son club actuel.
Si le club espagnol de l’Atletico Madrid se questionne aujourd’hui sur les raisons d’un probable échec avec le transfert de Joao Félix, c’est dans l’analyse du profil même du joueur et plus globalement dans une perspective de jeu collectif qu’il faudrait aller chercher. Meneur de jeu au profil physique fluet, l’ancien du Benfica est un joueur qui pense avant tout lorsqu’il a le ballon. C’est ainsi qu’il peut s’exprimer, c’est ici sa vision du football, et c’est toute la liberté que lui a offert son club formateur lors d’une première saison éblouissante chez les professionnels. La première division portugaise ou l’Europa League, tout semblait déjà beaucoup trop facile pour le joueur portugais et les grands clubs ont immédiatement frappé à la porte. L’Atletico Madrid mais pas loin de l’ensemble du top 10 mondial était aux aguets pour un joueur dont les qualités sont si importantes que cela en devient étrange parfois.
Joao Félix a choisi l’Atletico pour ne pas brûler les étapes et s’imposer d’abord dans un club exigeant tout de même, et le club dirigé par Diego Simeone y a vu l’opportunité de remplacer Antoine Griezmann parti au FC Barcelone. Le mariage peut s’entendre et peut même paraitre plausible pour les plus optimistes, avec un Cholo qui pourrait tendre vers une autre philosophie de jeu avec ce recrutement, et un Joao Félix qui pourrait acquérir plus de consistance dans le domaine du jeu sans ballon, autrement dit le jeu défensif, celui pour lequel son intérêt naturel est assez limité. Après trois ans le bilan n’est pas aussi positif, et malgré un joli titre de Champion d’Espagne dans la besace, il est désormais temps de voguer vers d’autres cieux.
Antoine Griezmann est revenu à l’Atletico après un passage raté à Barcelone, et la place de Joao Félix dans l’équipe de Simeone n’a jamais semblé aussi fragile qu’en ce début d’année 2022. Correa enchaine les bonnes performances, Suarez revient, et Griezmann possède un statut particulier qui lui confère un avantage logique. Le Français possède surtout un profil plus adapté au jeu de l’entraineur argentin qui en réalité n’aura jamais évolué. Pire, dans les moments difficiles le Cholo a choisi de reculer toujours plus, au point ou Joao Félix a semblé totalement perdu dans un océan de combats qui l’effraie. Joao Félix ne joue pas au foot pour les duels et heureusement car ce qu’il peut proposer relève d’un domaine autrement plus délicat, celui de la création. Capable de décrocher très bas sur le terrain pour demander le ballon, Joao Félix est également un joueur capable d’évoluer très proche d’un attaquant de pointe pour servir de relai technique. Comme si cela ne suffisait pas, il a une qualité de frappe de balle et de finition qui font de lui un redoutable deuxième attaquant. On ne se rend pas bien compte, mais la zone du terrain que peut couvrir Joao Félix est sensationnelle, mais il peut le faire avec ballon.
Un génie dans un monde de brutes
Dans une équipe dont la priorité est le jeu sans ballon, dont l’objectif principal est de réduire les espaces avant d’occuper celui des adversaires, le jeu de Joao Félix ne peut atteindre son plein potentiel. Souvent décevant pour son coach, souvent déçu lui-même par la tournure des matches, le joyau doit désormais se tourner vers un projet qui pourra le mettre en valeur car il est l’un des joueurs les plus talentueux du circuit mondial actuel. Son prix freine évidemment des décideurs et on peut se dire qu’il faudra alors une étape intermédiaire avant de côtoyer des joueurs de sa planète footballistique, à Manchester City, au Real Madrid, ou au Bayern Munich.
Que ce soit en club donc, ou en sélection nationale avec le Portugal, Joao Félix évolue avec deux entraineurs au profil rugueux et Diego Simeone ainsi que Fernando Santos ne peuvent tout simplement pas mettre en valeur Joao Félix. C’est dans une équipe avec la possession du ballon, qui cherche à marquer par du jeu construit, dans un milieu de terrain à 3 en relayeur offensif, en numéro 10 un cran plus haut, en 9 et demi autour d’une autre pointe, Joao Félix peut absolument tout faire mais encore faut-il le comprendre, le ressentir, chose qui ne pourra pas arriver tant qu’il ne sera pas transféré. Âgé de 22 ans, Félix a encore le temps avant de trouver l’endroit idéal mais il est étonnant de voir qu’un profil aussi rare dans le football moderne ne soit pas plus mis en avant et susceptible d’intéresser des clubs comme le PSG qui aurait pourtant un grand besoin de ce profil. Pas assez clinquant certainement, pas assez fort physiquement peut-être et même si cela peut sembler ironique c’est une réalité évidente. Avec des équipes qui tendent vers un jeu de duel avant de penser à l’essence même du football, le profil de Joao Félix n’est pas en haut de la liste et heureusement.
Marco Rose est un entraîneur qui pourrait prendre soin du génial numéro 10, et dans une équipe de Dortmund qui tourne bien Joao Félix serait mis en valeur d’un point de vue individuel. Il verrait certainement Haaland partir, peut-être aussi Bellingham et d’autres mais le club allemand recrute bien et sera toujours compétitif. Toutes les équipes auraient besoin d’un Joao Félix, d’un joueur capable d’éliminer n’importe qui sur sa première prise de balle et c’est ici qu’une certaine magie opère. Félix est si fort techniquement, sur un simple contrôle, sur une simple prise de balle, qu’il est impossible de savoir comment il va enchainer. SI le défenseur sort trop près il est absolument certain de ne jamais le revoir, et si le défenseur laisse de l’espace alors les coéquipiers de Joao Félix sont certains d’avoir une occasion à construire immédiatement. C’est dévastateur et c’est ainsi qu’il faut penser Joao Félix pour obtenir sa quintessence. Mobile, rapide dans ses courses, le milieu offensif lit également le jeu avant les autres pour se placer dans les bons espaces et pouvoir proposer une solution et recevoir le ballon. Le club du Benfica est l’un des plus prestigieux au monde et sa formation n’est plus à présenter pour personne, mais avec Joao Félix c’est certainement le joueur le mieux formé et le plus fort depuis de longues années. Dans un football portugais global qui regorge de talents, une association au milieu de terrain entre Bruno Fernandes et Joao Félix donne quelques frissons en l’imaginant. Pour plus tard certainement car Joao Félix possède l’avenir devant lui et viendra alors le moment où il pourra montrer qu’il n’est pas tout à fait comme les autres.
Emmanuel Trumer