Aujourd’hui engagée dans une improbable course au maintien, l’AS Monaco a vécu une saison cauchemardesque, débutée par Leonardo Jardim, reprise par Thierry Henry, puis terminée par Jardim à nouveau. Un feuilleton de plusieurs épisodes en forme de drame qui a débuté l’été dernier. Comment ce club, champion de France en 2017 et demi-finaliste de la Ligue des champions la même année, a pu se retrouver dans cette situation ? Un jeu dangereux des dirigeants, à tel point qu’un retour en Ligue 2, là où les propriétaires ont récupéré Monaco, n’est toujours pas exclu à trois matches de la fin.
On le sait, dans le football professionnel d’aujourd’hui de nombreux projets fleurissent désormais avec pour objectif d’attirer dans ses rangs les stars du football de demain, toujours plus jeunes, toujours plus tôt, afin de pouvoir achever leur formation et espérer une juteuse plus-value à la revente. Avec plus ou moins de réussite, avec des résultats plus ou moins probants, il s’agit quoiqu’il arrive d’un jeu très dangereux puisque l’exercice consiste à vendre les joueurs dès qu’ils ont atteint un montant définit par la direction et révélant la valeur « maximum du joueur ». Peu importe le moment, peu importe le contexte sportif de l’équipe. Avec des effectifs souvent très jeunes, changeant de visage à chaque mercato, cette méthode est globalement un casse-tête pour les entraîneurs et c’est ce qu’il est arrivé à l’AS Monaco.
Lorsque les investisseurs russes, Dmitri Rybolovlev en tête, récupèrent le club du Rocher en 2011, Monaco est alors en Ligue 2 et le projet immédiat consiste à remonter à l’étage supérieur. C’est chose faite en 2013 grâce à Claudio Ranieri sur le banc monégasque qui obtiendra dans la foulée une superbe deuxième place en Ligue 1. L’année de la montée, le mercato monégasque est clinquant avec les arrivées couteuses de Radamel Falcao, James Rodriguez ou encore Joao Moutinho pour un montant total de 135 millions d’euros, et Claudio Ranieri parvient rapidement à construire une équipe compétitive. C’est alors que les problèmes de la direction vont entrer en jeu (divorce du propriétaire Dmitri Rybolovlev notamment, problèmes judiciaires également) et donner à l’ASM un tout autre visage. Monaco change son braquet et c’est une toute autre vision du football qui va animer les dirigeants monégasques.
Un intéressement de 10 % qui fait tâche
Luis Campos prend alors davantage de responsabilité en tant que directeur sportif, et Leonardo Jardim s’installe sur le banc à l’été 2014. Le projet de recruter des stars comme Falcao ou James prend rapidement fin et laisse place aux réseaux du talentueux directeur sportif portugais pour acheter parmi les plus belles pépites européennes. Pendant cette période, Leonardo Jardim sera toujours parvenu à maintenir l’AS Monaco sur le podium, mieux il remporte un titre aussi exceptionnel qu’inattendu lors de la saison 2016-2017. Avec des joueurs comme Bernado Silva, Kylian Mbappé, Tiemoue Bakayoko ou encore Benjamin Mendy, ce groupe concocté par Campos et mené par Jardim va certainement atteindre son apogée avec une saison fabuleuse en tout point. Demi-finaliste de la Ligue des Champions après avoir éliminé Manchester City et Pep Guardiola en 8ede finale ou encore Dortmund et Thomas Tuchel en quart de finale, Monaco est à un tournant et le projet de vente va alors basculer dans une sorte de folie des grandeurs incessante.
Là où il aurait certainement fallu garder une ossature solide pour pouvoir espérer surfer sur ce titre de Champion et construire un projet sportif, Monaco et ses dirigeants vont céder à toutes les sirènes européennes sans aucun scrupule. Mendy est vendu pour 57 millions à City, Silva pour 70 bonus compris toujours à Manchester City, Mbappé est lui acheté pour 180 millions d’euros par le Paris Saint-Germain (Monaco accepte même de retarder le paiement d’un an pour ce dernier) tandis que Bakayoko fait ses bagages en direction de Chelsea contre un chèque de 50 millions d’euros. Monaco écoule pour un total de 362 millions d’euros rien qu’en un mercato estival. Dans le même temps les arrivées sont jeunes et peu expérimentées, un mélange que l’ASM va payer très cher dans ses résultats sportifs. L’hiver suivant, Monaco empoche pour 42 millions avec les ventes de Guido Carillo et Terence Kongolo, avant d’achever la vente des joueurs à la plus forte valeur marchande avec Thomas Lemar pour 70 millions à l’Atletico Madrid et Fabinho pour 50 millions à Liverpool l’été dernier.
Pour prendre un exemple, Fabinho qui aura été si décisif dans l’obtention du titre monégasque et si important au cœur du jeu avant son départ pour les Reds sera remplacé par Jean-Eudes Aholou, en provenance de Strasbourg contre 14 millions d’euros. Jamais, les dirigeants monégasques n’auront jugé nécessaire d’investir à nouveau les sommes perçues par les ventes, quelques 526 millions d’euros rien qu’en un an. Campos parti en 2016, les Mercato suivants ressembleront à des échecs successifs au rayon des arrivées.
Ces ventes frénétiques trouvent leur explication dans le projet de trading de joueurs vers lequel a basculé Monaco, mais avec une particularité que le droit monégasque permet : un Président intéressé financièrement sur les plus-values. Révélation des Football Leaks, Vadim Vasilyev ne résistera pas à ces choix purement financiers et malgré des discours de façade trompeur sur le niveau de l’équipe, il était très facilement prévisible que la saison de Monaco serait un long chemin de croix. Aujourd’hui, Luis Campos est à Lille pour poursuivre un nouveau projet similaire avec le LOSC, et Monaco vit une saison cauchemardesque sur le plan sportif. Vasilyev a été remercié, après avoir empoché quelques 46 millions d’euros personnels grâce à la fameuse clause d’intéressement, et il aura fallu l’intervention du palais pour stopper l’hémorragie.
Un demi-milliard de vente, et un maintien à jouer
Avant cela, Jardim avait prévenu l’été dernier qu’il ne pourrait obtenir aucun résultat avec l’effectif à disposition. Il s’est même opposé au départ de Falcao que les dirigeants voulaient vendre. Oui, à ce moment de la saison la préparation physique a été raté et Monaco le subira longtemps, mais l’entraîneur ne savait même pas avec quel groupe il allait commencer la saison l’été dernier. Des départs de joueurs majeurs presque toutes les semaines et Jardim sera viré quelques semaines plus tard après des résultats logiquement mauvais. La suite sera une succession de gags qui verra Thierry Henry reprendre l’équipe avant d’être lui aussi licencié faute de résultats et de laisser son banc à … Jardim. Ce qu’il s’est passé est assez simple, à ce moment précis de la saison le Palais monégasque est intervenu pour faire comprendre au propriétaire russe qu’il était impossible de continuer dans cette voie. Le board russe effectue un mercato hivernal cohérent (arrivées de Cesc Fabregas, Adrien Silva, Gelson Martins notamment), rappelle Jardim comme cela lui a été recommandé, et cerise sur le gâteau entreprend des travaux d’embellissement à la Turbie. Cocasse.
Sur le terrain, Monaco flotte toujours au-dessus de la zone de relégation avec trois points d’avance sur Caen, barragiste, à trois matches de la fin de la saison. Avec Jardim donc, mais également avec un groupe touché par l’année en cours et le changement brutal de statut, et qui aurait certainement coulé en Ligue 2 sans la prise de conscience collective de janvier dernier. Reste à espérer pour Monaco que cette saison ne réserve pas une ultime surprise en fin de saison, avec une descente, et alors il sera possible d’espérer un renouveau pour le club du Rocher avec un mercato estival très important. Cette fois, le Prince veille.
Emmanuel Trumer