Décrié, parfois même vilipendé pour ses idées de jeu, Diego Simeone est un entraîneur qui ne fait pas l’unanimité auprès des observateurs mais qui n’a jamais renié ses principes. Défensif, peureux, adepte du bus devant son gardien Oblak, Simeone continue de faire du Simeone, et peu importe les critiques c’est ainsi qu’il a éliminé Jurgen Klopp et son Liverpool champion d’Europe en titre encore cette saison. Depuis 2012, le Cholo est parvenu à faire basculer son club de l’Atletico Madrid dans une autre dimension, et si la matière dont il dispose désormais est supérieure, les attentes le sont également.
« Je ne comprends pas le football qu’ils jouent avec la qualité qu’ils ont […] Je pourrais dire beaucoup de choses et j’aurais l’air du pire perdant du monde. La manière dont ils jouent, je ne comprends pas. Mais le gagnant a raison. C’est comme ça ». Les mots, sévères, sont signés par Jurgen Klopp lui-même après l’élimination de son équipe de Liverpool en 8e de finale de la Ligue des champions et si l’amertume peut avoir pris le pas sur une quelconque analyse modérée et plus posée, le fond de la pensée trahit un courant bien plus large qui consiste à ne pas vouloir des préceptes de jeu d’un Diego SImeone pourtant cohérent avec lui-même. Depuis 2012, l’entraîneur argentin n’a que très peu varié pour porter son Atleti à des sommets encore jamais atteints. Pour le palmarès, peu de choses à redire avec quatre trophées majeurs (Ligue Europa en 2012 et 2018, Coupe d’Espagne en 2013, Liga en 2014) et également ces exploits qui sont passés à un fil comme les deux finales de Ligue des champions perdues en 2014 et 2016 à chaque fois face au grand rival et plus puissant Real Madrid. Car avant toute tentative d’analyse du technicien argentin, il faut prendre en compte sa bataille face à deux mastodontes comme le Real Madrid et le FC Barcelone. Si l’Atletico est parvenu, au fil des années, à se hisser au niveau de ses plus prestigieux adversaires il le doit à son entraîneur et ses idées de jeu.
A son arrivée, et bien avant l’entrée dans le nouveau stade du Wanda Metropolitano, Diego Simeone aura été à la tête d’une équipe non armée pour faire face aux plus gros adversaires, et si l’évolution positive, financière comme sportive, engendre logiquement des attentes toujours plus élevées il ne faut pas oublier que l’Atleti n’aura jamais l’ADN de ses rivaux et leurs achats compulsifs. Alors oui, Joao Felix est arrivé l’été dernier en provenance de Benfica en l’échange de quelques 120 millions d’euros, mais le milieu offensif est alors venu compenser le départ de Griezmann pour l’ennemi catalan quelques semaines plus tôt. Diego Simeone est parvenu à construire son équipe au fil des années grâce à une méthodologie précise, exigeante, et qu’il ne faut certainement pas réduire à un projet défensif. Pour comprendre ce qui anime le Cholo il faut d’abord se pencher sur ses principes tactiques, qui varient très peu, et l’utilisation quasi exclusive du 4-4-2 à plat. Un schéma qui permet à la fois une densité offensive par le nombre, mais également une sécurité défensive avec une ligne médiane du bloc équipe très basse, pour ne pas dire très proche d’Oblak. C’est ainsi le paradoxe du Simeone, qui au-delà des préceptes tactiques précis insiste sur le don de soi et le contact.
Simeone et la recherche de l’équilibre
Le cholo, milieu défensif de formation en tant que joueur, au profil plutôt rugueux et peu dans la dentelle, s’est d’abord appliqué pendant de longues années à transmettre une hargne assez inimaginable à ses joueurs. Pour l’Argentin, le coaching passe d’abord par ses hommes et le fait de les faire évoluer avec ses valeurs, pour les défenseurs, les milieux, mais également les attaquants le maitre-mot doit être la volonté de se replacer pour réduire les espaces de ses partenaires et former le bloc équipe le plus compacte possible. Proche des idées de jeu d’un Antonio Conte malgré un schéma tactique différent, ou bien même d’un Didier Deschamps sur le même modèle tactique lors du dernier Mondial victorieux, Diego Simeone inspire et a su transcender ses troupes pour rafler des titres alors non promis aux Colchoneros. L’idée principale de Simeone consiste à faire évoluer son équipe assez bas sur le terrain donc, une forme de garantie de stabilité défensive c’est certain, mais avec un schéma à deux attaquants qui permet une transition rapide en phase de possession du ballon et surtout de la présence dans les trente derniers mètres adverses. Des attaquants et plus globalement des profils offensifs avec lesquels Simeone pourrait tout de même trouver ses limites, lorsqu’il ne s’agit pas de Diego Costa et son caractère digne de de son entraîneur.
Pour le Cholo, le football représente avant tout le don de soi et s’il est devenu une icône à Madrid pour ses valeurs, il faut avouer que plusieurs joueurs ont des difficultés à entrer dans le moule Simeone, et lorsque l’Argentin doit compter avec des artistes tels que Joao Felix ou Thomas Lemar, l’approche est alors peut-être plus succincte. L’ancien milieu hargneux a du mal à comprendre l’idée de vouloir jouer avec le ballon avant de penser à le récupérer, et si l’ensemble a toujours été proche de l’équilibre parfait il ne faut pas oublier que l’Atleti est désormais armé pour passer à la vitesse supérieure. C’est d’ailleurs peut-être ici la limite, très fine, qu’il faut mettre à la grandeur d’ensemble du technicien argentin mais là encore dans son idée d’une équipe plutôt que d’une accumulation de talent la logique est implacable. Dans son 4-4-2, les milieux excentrés peuvent être des ailiers au profil plus offensif comme Correa ou Vitolo, ou au profil plus récupérateur comme Koke et Saul, Simeone n’hésitant pas à s’adapter et à changer lorsque les choses tournent mal. Cette capacité si précieuse à faire évoluer ses joueurs à plusieurs postes, à faire basculer une rencontre également, encore récemment lorsque le Cholo a vu que son équipe de l’Atleti n’arrivait pas à ressortir le ballon de sa moitié de terrain à Anfield, devrait tout de même le placer dans la catégorie des maitres. Un statut fragile, sans cesse remis en cause, et qui ne lui permettra certainement pas de dépasser les clichés tant qu’il n’aura pas porté son Madrid sur le toit de l’Europe. Une prouesse dont il est capable, et dont le virus aura momentanément eu raison.
Emmanuel Trumer